L'Histoire Antique de Cirta
Dans la croyance de l'homme antique, la nature, et en particulier les arbres, les forêts, les sources, les torrents, les sommets des montagnes, les rochers, les abîmes, étaient des éléments peuplés d'esprits. De plus, vivant sur les hauteurs, sur des sites rapprochés du ciel et des astres cela rendait ces éléments plus propices à une réputation d’utilité, à commencer par la terre nourricière.
De leur côté, les éléments en relation avec les profondeurs de la terre, étaient réputés maléfiques, domaines attitrés des démons, comme les gouffres et les torrents dévastateurs qui les emplissent de leurs mugissements, les rochers d'aspects tourmentés et creusés de repaires abritant des fauves dangereux et des reptiles.
Ces derniers étaient certainement redoutés pour leur venin, mais ils étaient aussi sacrés parce qu'habitant la terre, demeure des défunts. Les serpents étaient assez nombreux dans les gorges. La Dépêche de Constantine des années 20, rapporte qu'un assez gros python y fut capturé près de la Grotte des Pigeons par les dompteurs d'un cirque de passage.
Le gouffre du Rhumel était donc un site redoutable par excellence. Il représentait un danger très réel et les hommes antiques du site pressentaient certainenment l'horreur sacrée qui s’en dégageait, au point qu'ils le désignaient comme la demeure attitrée des Cabires, divinités infernales gréco phéniciennes.
Reconstituons d'abord le bourg primitif berbéro numide groupé autour d'un carrefour de voies commerciales devenu marché.Dès le 6e siècle avant l’ère chrétienne, des marchands phéniciens s’installent sur le rocher, venant de la côte. Deux ou trois cents ans plus tard, ils établissent un comptoir marchand sur les collines au Sud Ouest de la cité berbère dont les maîtres numides ont témoigné à ces étrangers si utiles par leur civilisation la plus large hospitalité.
Les très nombreuses stèles votives puniques trouvées dans ces parages attestent l'importance de cette colonie marchande. Le sanctuaire de Baal Ammon (dieu soleil phénicien associé à Tanit, déesse carthaginoise de la lune et de la fécondité) situé sur la colline El Hofra semble en avoir été le centre.
Près de l'actuel Hôtel Transatlantique, des fouilles ont été effectuées par la Société d'histoire et d'archéologie de Constantine. M. A. Berthier, en collaboration avec M. l'Abbé Charlier, spécialiste ès langues sémitiques, en ont publié les résultats dans « Le sanctuaire punique d'El Hofra à Constantine » (1955).
On se doute bien de la ferveur avec laquelle les Berbères numides du Constantinois ont adopté le culte de Baal - Tanit ainsi que beaucoup d'autres éléments de la civilisation punique.
Tanit, la grande déesse phénicienne, est devenu dans la culture numide la légendaire reine Tina, dont le palais se dressait sur le sommet du Rocher, c'est à dire, sur l’emplacement de l'actuelle Kasbah.
( Voir la légende de la reine Tina)
Désireuse de confort moderne, dit la légende, Tina fit proclamer à son de trompe qu'elle épouserait l’homme qui parviendrait à faire monter l'eau courante jusqu'à son palais.
Un premier prétendant, qui était de race blanche, tenta l’exploit, mais sa conduite en troncs d'arbres évidés qui descendait dans les gorges du Rhumel, ne pu remonter la falaise de la rive gauche, et il du abandonner.
Un deuxième prétendant celui là de race nègre fut plus heureux : Il sut tirer du lit du Rhumel, assez d'or pour en faire des tuyaux plus maniables et plus étanches qui franchirent sans difficultés les gorges et remontèrent la pente jusqu'au palais de la reine. Celle ci, bien que le gagnant fût de peau noire, ne fit aucune difficulté pour accorder sa main à ce prétendant plus chanceux.
Cette légende nous révèle, au delà de ses pittoresques invraisemblances, plusieurs éléments de valeur historique à noter :
1- L'importance du culte et du souvenir de la grande déesse carthaginoise Tanit, reine des cieux, descendue sur terre pour devenir reine tout court, au moins dans le souvenir des habitants du Rocher.
2- L’importance des populations primitives négroïdes dont de nombreux crânes furent retrouvés dans les sépultures dolméniques qui, comme l'on sait, foisonnent dans la région constantinoise.
3- Le premier métal utilisé par l’homme préhistorique fut effectivement l’or qu'on trouvait à l'état naturel dans les roches et dans les alluvions des torrents. Or, d'après une notice d'un archéologue constantinois, M. J. Bosco (voir Annuaire de la Société d'histoire et d'archéologie de Constantine, année 1921) cet or du Rhumel a été jadis effectivement exploité prés du confluent Rhumel -Bou Merzoug. Voici une bien curieuse méthode employée par un astucieux constantinois pour en extraire..
« Chaque année, explique cet homme, après les crues, je plonge dans le grand trou sous la cascade à côté des « Bains de César » (piscine chaude au milieu des gorges entre Sidi Rached et El Kantara), c'est dangereux et cela sent très mauvais, mais parmi les monnaies que je trouve tout au fond, Il y en a parfois en or et, que mes clients habituels me payent cher ».
L'homme n'est pas forcément un mystificateur. Le trou en question semble effectivement très profond, de sorte que les eaux du Rhumel et du Bou Merzoug, après être passées dans le voisinage d'anciens établissements romains où il peut y avoir des cachettes oubliées, peuvent parfaitement charrier des monnaies jusque dans les gorges où les crues s'en déchargent tout naturellement dans les replis les plus profonds du lit du fleuve.
Les tombes puniques sont relativement nombreuses dans les environs de Constantine surtout dans les rochers du Mansourah.
Y en avait il aussi dans les gorges ?
C'est peu probable, vu les menaces d’inondation. M. Robert Dournon, étudiant à Constantine, et poète à ses heures, a publié dans la revue « Algéria » de 1938 un conte Intitulé : « Le retour de Sophonisbe » où il narre qu'un soir, en sortant d'une réunion de Aissaouas où il y avait fumé du kif, il fut conduit par l’un d'eux par le fond des gorges du Rhumel jusqu'à la grande voûte où il découvrit l'entrée d'un souterrain et... au fond, le tombeau de la fameuse reine Sophonisbe (épouse des rois numides Syphax et Massinissa), gisant là avec tous ses bijoux d'or massif constellés de pierres précieuses.
Exploit sensationnel, qui aurait pu avoir un retentissement extraordinaire en alléchant des nuées de touristes, mais hélas, sans lendemain : Ni l'auteur, ni personne n'est jamais parvenu à retrouver ce tombeau !
Et cependant en plusieurs endroits des parois des gorges, à la sortie de la grande voûte par exemple, l'on peut voir des orifices murés. Je me suis plus particulièrement intéressé à l'une de ces maçonneries placée à une trentaine de mètres au dessus du lit du Rhumel près de la caverne du légendaire ermite Sidi Ben Makhlouf. Cette maçonnerie pourrait obstruer un simple orifice des égouts qui passent dans cette paroi. Effectuée nécessairement par le service des Ponts et Chaussées de Constantine, elle n'a pourtant laissé aucune trace dans leurs archives où l'on déclara tout ignorer de ces travaux.La muraille en question serait donc antérieure à 1837.
Entrée ou débouché d'un souterrain phénicien, romain ou turc ?
Le fameux trésor d'Ahmed Bey que l'on a vainement cherché dans les souterrains de la casbah ?Le mystère restera entier jusqu'à ce que des fouilles l'aient éclairci. Mais beaucoup d'eau passera sans doute encore sous les ponts du Rhumel avant que l'on puisse se soucier d'un problème si étranger à nos préoccupations d'aujourd'hui, mais qui se révèle important pour l'histoire de la ville.