L’histoire des hommes préhistoriques du Rocher.

D'après l'hypothèse de l’anthropologue Arambourg du Muséum d'histoire naturelle de Paris se basant sur la découverte de spéroïdes à facettes sur le plateau du Mansourah en 1945, l'existence des premiers humains habitant le site constantinois remonterait éventuellement à un million d'années, c'est à dire à une époque intermédiaire entre le Quaternaire et le Tertiaire.

Il s'agirait en l'occurrence d'Australopithécinés, c'est à dire d'êtres primitifs, hommes singes du type sud africain dont on croit avoir identifié ici les outils, en attendant de trouver aussi des ossements. Le site supposé habité, des hommes primitifs auraient donc assisté aux dernières phases de la formation des gorges.

 


C'est donc vers cette époque que d'énormes quartiers de roc décollés par des pluies diluviennes roulent ou tombent dans l'abîme avec un fracas qui devait terrifier hommes et animaux gîtant dans les parages. Les Australopithécinés ou leurs descendants ont pu aussi assister au grand cataclysme final, c'est à dire à l'effondrement de l'orifice nord des gorges au delà du pont de roche naturel, seul vestige resté debout avec une falaise jaillissant à la verticale, par endroit même en surplomb, jusqu’à plus de 200 mètres. Cet à pic, à peine entamé par l'érosion atteste à la fois l'importance et le caractère relativement récent de cet événement terminal.

A ce jour, aucune trouvaille d'objets préhistoriques à l'intérieur des gorges n'a été faite, bien que les cavernes habitables ne manquent pas.
Cependant il ne faut pas oublier qu'à l'époque préhistorique, de multiples dangers y rendaient tout habitat impossible, dangers menaçant aussi bien d'en haut que d'en bas : voûtes et falaises s'éboulant, crues du torrent parfois subites et toujours à craindre.

De plus, les croyances de ces habitants devaient probablement les tenir à l'écart de ce site où l'on y entendait aussi la voix des esprits du fleuve qui bouillonnait furieusement autour des rocs obstruant le passage. Le mugissement des eaux, amplifié comme le bruit du tonnerre par la sonorité des voûtes, devait glacer de terreur l'âme des primitifs totalement dominée par les superstitions et les phobies d'un instinct encore fruste et par encore tout à fait humain.

Durant cette époque préhistorique, les hommes ne semblent pas avoir été sédentaires. Vivant de cueillette et de chasse, ils devaient se déplacer constamment pour suivre le gibier. Ce n'est que vers le Paléolithique supérieur (45.000 ans avant notre ère) que des habitations permanentes sont aménagées dans les grottes du Mouflon et de l'Ours situées au pied du versant nord de Sidi M'Cid sur un petit plateau qui, avec ses abrupts, constituait une sorte de forteresse naturelle.

Les trouvailles provenant des fouilles faites à ces endroits par M. Debruge ( Postier et Archéologue amateur constantinois) dans ces grottes sont visibles au musée de Cirta au niveau de la salle préhistorique. Ces premiers habitants à demi sédentaires du site constantinois allaient faire une conquête bien plus essentielle : LE FEU.

Il faut attendre l'époque capsienne ( environ 14000 - 9000 avant notre ère) pour que les gorges du Rhumel servent d'abri à des habitants permanents dans la Grotte des Pigeons située près de l'ascenseur actuel sous le "Boulevard de l'Abîme". Cet endroit est en effet bien situé et facile à défendre et on peut affirmer sans se tromper qu'il a du servir de poste de guet et de refuge aux habitants s'abritant dans les grottes du Mouflon et de l'Ours.

C'est dans un decors des plus grandiose que vivaient ces premiers habitants nichés dans la grotte des Pigeons située au nord des gorges. A cet endroit de l'abîme, la masse du Rocher, imposante et trapue, émerge d'une flore de végétation tropicale où vit une faune composée d'ours, de mouflons, de buffles, de lions, de bovidés aux cornes géantes, de zèbres, d'hyènes et d'antilopes.

L’exubérance folle des frondaisons cimentées de lianes abrite aussi la gent agile et criaillante des singes qui disputent les graines et les fruits les plus savoureux à des oiseaux au plumage rutilant. La nature dans sa solennelle et grandiose sauvagerie est souveraine et la grande voix de la cascade du Rhumel dévore les mille bruits de la forêt vierge et jusqu' aux stridents gloussements de la famille d'hippopotames qui barbotent dans la nappe d'eau au pied de la cascade. De temps en temps un déluge de pluie chaude s'abat du haut des falaises, et, sous l'action du soleil toujours vainqueur, la forêt exhale des nuées de vapeurs diaprés d'arcs en ciel mouvants. Dessin : A. Marion

Les troglodytes de la Grotte des Pigeons étaient des gaillards trapus et solidement charpentés, avec la mâchoire forte et la peau foncée d'un type avoisinant le négroïde. Ils grimpaient dans les rochers et les arbres avec l'habileté des singes. Les jeunes forçaient à la course le gibier le plus rapide et péchaient à la main les poissons du torrent. Les femmes
se paraient de jolis colliers de petits coquillages ou de minuscules disques découpés dans des coquilles d'oeufs d'autruche. Les hommes portaient d'ailleurs eux aussi des colliers, mais préféraient le genre trophée de chasse composé des dents des grands fauves abattus par leurs javelots, leurs flèches, boomerangs, bolas, ou leurs lourdes haches de pierre.

C'est avec une légitime fierté qu'on exhibait ces sortes de décorations, car le gibier était souvent de taille. L'ours et le lion des cavernes atteignaient deux fois la hauteur d’un homme de sorte qu'il n'était pas rare que le chasseur devint gibier, pourchassé et dévoré à son tour. L’on accédait à la grotte par un sentier escarpé et si étroit en bordure de la falaise abrupte qu'un seul guerrier pouvait aisément y arrêter une multitude d'agresseurs. Un quartier de roc obstruant le passage pouvait d'ailleurs efficacement remplacer la sentinelle.

Du sommet de la falaise, où veillait nuit et jour un guetteur muni d'une trompe d'alarme, on n'accédait à la caverne qu'à l'aide d'une échelle, sans doute un simple tronc d'arbre encoché, qu'on retirait en cas d'alerte. La grotte elle même (qu’un escalier construit à la même époque que le Boulevard de l'Abîme permet de visiter aujourd'hui) était assez vaste pour abriter à droite, c'est à dire dans la partie moins exposée au vent pluvieux, le foyer des familles du clan et, à gauche, les sépultures où l'on entassait les ossements des défunts après les avoir décharnés. Cette pratique suggère que les premiers Constantinois furent des nécrophages ou "mangeurs de cadavres". L'ordinaire dans la Grotte des Pigeons comme ailleurs à cette époque dite Capsienne (de Gafsa en Tunisie) comprenait beaucoup d'escargots dont on a trouvé des monceaux de coquilles dans la partie droite de la grotte.

Cette "escargotière", fouillée par M. Debruge en 1916, donna une moisson assez volumineuse et variée où sont représentés le Capsien, le Néolithique (de environ 10.000 à 2.000 avant notre ère) avec polissoirs, broyeurs, des lames de silex, une hache en ophite, des aiguilles et autres objets en os, des coquillages colliers, une défense de sanglier (amulette). Tous ces objets sont visibles au musée de la ville, le Musée Cirta.

D'autres objets, de l'époque des métaux avec un poinçon de bronze et une massette de fer ; et enfin de l'époque romaine et berbère avec monnaies, lampes, tuiles et de la poterie berbère à dessins géométriques d'origine présumée égéenne, ont été découverts sur ce même site. Tous ces objets révèlent un habitat continu jusqu'au 1er ou 2eme siècle de notre ère. Ils étaient mêlés à de nombreux ossements d'hommes et d'animaux.

Un des crânes trouvé sur place avait une caractéristique étonnante : sa paroi osseuse avait trois fois l'épaisseur normale, c'est à dire de celle d'un homme de nos jours. Cet intéressant problème anthropologique fit couler pas mal d’encre, jusqu'à ce que quelqu'un proposât une explication aussi simple que plausible : grands mangeurs d'escargots, aliment riche en phosphore, les boîtes crâniennes, avec l'ensemble du système osseux, devaient tout naturellement s'épaissir.

Les hommes capsiens et néolithiques de la préhistoire, sont devenus éleveurs, cultivateurs, artisans, et ils ont certainement contribué eux aussi à la découverte de denrées comestibles ainsi qu'à la domestication des animaux.

La puissante voix du torrent et de la grande cascade qui jaillit des gorges au pied même de la falaise où ils nichaient, a dû les contraindre à parler fort, à hurler même quand la crue décuplait le grondement des eaux. Ce langage plus sonore, répercuté par l'écho des voûtes et des parois de roche, a pu devenir un chant de triomphe fêtant de beaux exploits de chasse ou de guerre.